LES
JARDINS JAPONAIS
Les Japonais entretiennent des relations particulières avec les
jardins. La floraison des cerisiers au printemps est une fête nationale
(sakura no hana mi) et presque chaque maison possède "une
alcôve de beauté" destinée à accueillir une plante digne de tous
les soins ou un précieux arrangement floral. Un bonsai (arbre miniature),
s'il est traité avec patience, peut être considéré comme un meuble
de famille et transmis de génération en génération. Les Japonais
ont créé des jardins paysagers féériques depuis le VIème siècle
au moins, des jardins pour flâner, des jardins qui invitent à la
méditation ou qui prolongent l'espace habité, des jardins de colline,
des jardins d'eau ou de rocaille. La gamme embrasse aussi bien les
vastes parcs créés pour la noblesse japonaise depuis le Moyen Age
que les minuscules jardins de thé, parfois juste à peine plus qu'un
roji («allée de rosée ») fait de pierres de gué menant à
la maison de thé.
Les emprûnts à la nature
Le jardinier paysagiste japonais cherche à dissimuler son art et
à donner l'impression que sa création est une oeuvre de la nature,
sans artifices humains. Comme dans les autres arts japonais, l'accent
est mis sur la simplicité, l'harmonie et la tranquillité. Le jardin
traditionnel japonais contraste avec les plates-bandes de fleurs
et les pelouses formelles d'Europe. Il reflète les beautés des paysages
naturels japonais, avec leurs rochers et leurs montagnes, leurs
arbres usés par les ans et leurs chutes d'eau. Certains jardins
reproduisent même de vrais paysages, comme le célèbre parc Suizenji
de Kumamoto qui recrée en miniature quelque-unes des étapes de la
route de Tokaido, représentées par les illustres gravures sur bois
de Hiroshige (1797-1858).
Les
jardins de Shugakin à Kyoto sont typiques de la technique dite
de Shakkei-zukuri ("paysage emprunté"),
qui se sert des paysages environnants pour accroître la beauté
des jardins.
L'eau est un élément très prisé et forme des étangs, des cascades
ou des rivières. avec des îles miniatures et des ponts d'ornement.
Les lanternes de pierre servent à éclairer le jardin la nuit mais
aussi â renforcer le thème de l'eau en symbolisant le phare. Dans
le jardin de Hama Rikyu, dans la baie de Tokyo, les vagues de la
mer viennent lécher les terrasses de pierre et se briser contre
les ponts minuscules.
Les
arbres entourant ce lac du parc de la Villa impériale, à Kyoto,
semblent former un paysage naturel. En réalité, ils ont été arrangés
avec soin pour créer une harmonieuse composition de formes et
de feuillages.
La magie de ces lieux tient aussi à l'illusion de grandeur astucieusement
créée par le paysagiste. Pour ce faire, l'artiste joue souvent de
la perspective, plaçant au premier plan de grands objets, qui attirent
l'attention, puis, derrière eux, des plantes et des rochers de taille
décroissante. Certaines parties du jardin sont dissimulées par des
murs, des haies ou des pavillons ornementaux afin que de nouvelles
scènes surprennent sans cesse le visiteur qui flâne dans l'allée
sinueuse. Des paysages qui débordent de l'enceinte du jardin peuvent
être incorporés à l'ensemble: c'est la technique du shakkei-zukuri
(paysage emprunté ). Les limites du jardin sont dissimulées ou camouflées,
et les allées et les ruisseaux serpentent entre les rochers et les
arbustes et semblent ne jamais finir.
Une austérité sublime
Le symbolisme élargit encore la gamme naturelIe du jardin : un arbuste
peut représenter une montagne éloignée ou une cascade, du sable
ratissé peut symboliser le rivage. Les rochers sont choisis avec
autant de soin qu'un jardinier occidental en met à sélectionner
une plante rare. Le jardin du temple de Sambo-in, créé en 1598,
comprend près de 800 rochers, tous choisis individuellement. Un
rocher peut être retenu en raison de sa beauté propre ou parce que
sa forme rappelle celle d'un élément de la nature, montagne, lac
ou chute d'eau.
Pour
un instant recueillons-nous sous la cascade en ce dénut d'été.
Le symbolisme atteignit des sommets lorsque se développèrent les
kare sansui (jardins secs), sans plantes ni eau, conçus comme
des lieux de méditation pour les bouddhistes zen. Aux yeux des Occidentaux,
ces jardins ne montrent rien de plus que quelques rochers choisis
avec amour et disposés avec une grande précision, entourés de minutieux
dessins sur le sable ratissé. Parfois ils représentent un paysage,
comme dans le jardin de Daisen-in, datant de 1480, où des motifs
de sable en vrille forment une rivière autour de rochers symbolisant
le mont Horai et un "bateau au trésor". En revanche, le célèbre
jardin de Ryoan-ji, créé en 1470, est d'une conception purement
abstraite avec ses 15 rochers disposés comme des îles sur du gravier
blanc ratissé.
Les jardins d'intérieur
La division entre la maison et le jardin est par tradition, subtile.
L'espace habité afflue dans le jardin dont il n'est séparé que par
de fragiles écrans ouverts en été. Les couleurs et les effluves
du jardin pénètrent dans la maison lorsque les glycines délicates
de la tonnelle grimpent jusqu'à la véranda et que les muguets odorants,
plantés sous les fenétres, exhalent leur parfum à l'intérieur de
la maison. Jadis, les architectes détournaient même des ruisseaux
jusque sous les couloirs des palais, afin d'y faire entendre le
clapotis de l'eau. Dans la tokonarna, "l'alcôve de beauté"
aménagée dans la salle de sejour on peut trouver des bonkei ("jardin
sur un plateau") qui sont des paysages en miniature garnis de plantes
naines placées entre de minuscules montagnes, faites de tourbe mousseuse
et recouvertes de terre, et des "mers" de sable. On peut y voir
aussi des bonsaïs ("arbre sur un plateau "), ces arbres nains auxquels
des années d'élagage et de manipulation ont donné une forme esthétiquement
satisfaisante et d'apparence naturelle.
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